Des soupçons inquiétants
Alexia avait alors 3 ans, et vivait avec ses parents, et ses deux soeurs dans un quartier aisé de Melbourne... Le soir, le dîner parut interminable pour Alexia. Elle ne savait pas pourquoi, mais une ambiance désagréable régnait dans la pièce. D’habitude, paroles et rires s’entremêlaient. Là, son père avait un teint livide, qui n’allait pas tarder à devenir transparent à la vitesse où ça allait, et sa mère, elle, tentait de rendre son visage le plus impassible possible, même si l’on voyait bien qu’elle jouait la comédie. Tous deux restaient muets, les yeux fixés sur leur assiette.
Alexia jeta un coup d'oeil à Chloé, puis s'attarda un peu plus longtemps sur Norah. Elle semblait avoir un air soupconneux, et la connaissant, n'allait pas tarder à faire une bêtise, étant donné la grimace dessinée sur son visage. Une minute plus tard, Norah se leva de table, et fit basculer sa chaise en arrière, en signe de mauvaise humeur. La chaise fit un bruit épouvantable lorsqu'elle tomba sur le parquet ciré du salon. Puis suivit la voix de sa soeur, emportée par la colère :
"Mais qu'est-ce qui vous arrive ? Si vous avez quelque chose à nous cacher, c'est raté, parce que vous jouez très mal votre jeu !"Il y eut un long moment de silence, plutôt pénible, où les deux parents semblaient hésiter sur ce qu'ils allaient répondre. Chloé, elle, les regardait d'un air interrogatif. Alexia, quant à elle, avant de se tourner vers ses parents, fixait toujours sa soeur aînée, Norah. Elle avait toujours eu un peu peur de ses réactions, car il fallait dire que Norah avait un fort tempéramment et sa montrait très franche, ce qu'elle n'aimait pas beaucoup. C'est pourquoi, même si elle ne le disait pas, elle préférait rester près de son autre soeur, Chloé, qui se montrait douce et amicale avec elle. Elle avait une grande confiance en elle. D'ailleurs, plus elle grandissait, et plus elle se promettait de lui ressembler. Cela ne voulait pas dire qu'elle n'appréciait pas Norah, mais elle ne comprenait pas qu'on ne puisse pas retenir sa colère dans des situations comme celle-ci.
"Nous n'avons rien à cacher Norah. Nous sommes juste un peu fatigués en ce moment, nous avons pas mal de travail, tu comprends ?"La voix de sa mère venait de la sortir de ses pensées, et, même si ses paroles ne semblaient guère satisfaisantes, sa voix, quant à elle, était douce et calme. D'ailleurs la réponse parut convenir à Norah, car quelques minutes plus tard, elle était déjà montée dans sa chambre.
Alexia en fit autant, et monta les escaliers qui menaient à sa chambre, avec une angoisse insaisissable qu’elle ressentait au fond d’elle-même, mais qu'elle ne voulait pas montrer, surtout pas à ses parents...
*****
Alexia était assise au bord de sa fenêtre et regardait le soleil immerger de l’horizon, explosant le ciel dans une débauche de rouge et de feu. Ses pensées étaient ailleurs. Peut-être qu’elle ne devait pas s’inquiéter sur ce qui s’était passé ce soir, mais jamais encore jusque là ses parents s’étaient comportés ainsi. De toutes les façons, si quelque chose n’allait pas, elle le saurait très vite, après tout, ses parents ne lui cachaient rien.
Elle sortit de ses pensées lorsqu’elle entendit frapper à la porte. Elle se leva, et vit son père entrer dans la chambre. Il lui adressa un grand sourire, ce qui ne fit qu’augmenter la frayeur d’Alexia. Il y avait une demi heure de cela, on aurait dit qu’il allait s’effondrer sur le sol, et à présent, il dégageait une extraordinaire impression de sérénité et de puissance. Avant qu’il n’ai pu prononcer une parole, Alexia lui demanda :
« Je ne te trouve pas dans ton état normal, tu vas bien ? »Elle avait appuyé ses derniers mots d’un regard insistant sur lui, mais il ne détourna pas la tête, mais au contraire, parut le visage encore plus radieux. Un peu trop, pour que ce soit sincère au goût d’Alexia.
A ce moment, sa mère entra à son tour dans la pièce et regarda successivement son mari et sa fille. Puis après un long moment, celle-ci se pencha vers Alexia, et la prit dans ses bras. Elle avait sûrement dû se rendre compte de l’inquiétude de sa fille.
Cette dernière blottit alors sa tête dans le creux de son épaule, enserra son cou dans ses bras, et ferma les yeux. Une larme coula de son visage, mais elle se sentit soudain plus rassurée.
Alors qu'elle murmurait un faible "maman", elle sentit la main de son père l’attraper par l’épaule et la dégager de sa mère.
« Alexia, tu as vu l’heure ? Allez, au lit ! » dit-il sur un ton autoritaire.
Elle tourna légèrement la tête vers sa mère, qui sortit alors de la chambre. Elle alla donc se coucher sans rouspéter, mais une fois qu’elle se trouva dans son lit, elle fut bien incapable de s’endormir.
*****
Alexia avait beau fermer les yeux, elle ne s'endormait pas. Ce manoir, ses parents, cette inquiétude inexplicable au fond d'elle-même lui faisaient peur. Elle décida de se relever de son lit, jeta un coup d'oeil circulaire dans l'obscutité de sa chambre, et se dirigea vers la porte. Elle la referma délicatement derrière elle pour ne pas réveiller ses soeurs qui dormaient à côté, puis marcha à pas feutrés vers la chambre de ses parents.
"...on peut encore tout changer tu sais. Laisse-moi juste...
- Non ! coupa la voix ferme de sa mère. Excusez mon mari, vous pouvez reprendre.
- Très bien. Donc..."Alexia se figea sur place. Cette dernière voix n'était pas celle de son père. Elle lui était totalement inconnue. Elle pivota et descendit quelques marches de l'escalier, puis s'assit et se pencha pour voir entre les barreaux la scène qui avait lieu dans le salon.
Elle posa d'abord ses yeux sur sa mère qui avait un visage serein et résolu, mais lorsqu'elle les posa sur son père, elle s'aperçut qu'il avait les traits contorsionnés à la fois par la peur et la rage.
Face à eux, étaient assis deux hommes habillés en costumes, un tas de paperasse sur leurs genoux. L'un des des deux s'adressait à ses parents et Alexia tendit l'oreille pour mieux entendre ce qu'il disait :
"...nous avons donc rédigé la requête en divorce sur la base des réponses fournies par Mme Parker et nous l'avons déposé signée, au greffe du tribunal. A présent, vous allez recevoir une convocation par le Tribunal et ensuite, aura lieu une audience de conciliation, qui permattra au juge de...
- Tu veux que je m'en débarrasse ? Oui c'est ça, je peux m'en débarrasser pour toi si tu veux, et nous pourrons enfin être tranquilles !"Son père venait de couper la parole à l'homme et semblait l'ignorer totalement. Il était tourné vers sa femme et psalmodiait une incompréhensible supplique mêlée d'une gestuelle confuse.
"Je te l'ai dit, coupa Mme Parker, c'est trop tard ! Je suis fatiguée du mensonge, tu comprends ? Ce que tu m'as fait et ce que tu m'as demandé de faire était monstrueux ! Je ne reviendrai pas sur ma décision et ce n'est pas toi qui m'en empêcheras !"L'homme en face se gratta la gorge et reprit, comme si rien ne s'était passé :
"...qui permettra au juge de décider de qui restera dans le domicile conjugal, avec qui vont demeurer les enfants, le droit de visite et d'hébergement des enfants pour l'autre époux, le montant de la pension à verser à l'époux chez lequel demeurent les enfants. Pour le moment bien sûr, tant qu'aucun jugement n'a été fait, rien ne vous sera confisqué...
- Mais c'est n'importe quoi ! hurla le mari. Vous me confisquez déjà me femme, et peut-être mes enfants et...comment pouvez-vous ? A votre place j'aurai honte de faire ce métier !
- Tais-toi, rugit Mme Parker. Ce n'est pas lui qui me sépare de toi, c'est moi ! Ne mets pas toujours tes problèmes sur le dos des autres comme tu l'as fait avec moi ! C'est fini ! Mets-toi bien ça dans la tête."Alexia sentit soudain une chape glaciale s'abattre sur son esprit. Même si elle n'avait que trois ans, elle savait que la dispute de ses parents engendreraient des problèmes dans les temps à venir. Elle n'avait pas tout compris, mais le principal était là : la dispute. A présent, elle tremblait des pieds à la tête. Elle essaya de se relever, mais ses jambes n'arrivaient plus à tenir debout. Elle réussit tout de même à retourner vers sa chambre et se précipita dans son lit. Elle fit des efforts pour se contenir, mais des larmes lui embuèrent les yeux. Les paroles de son père et sa mère raisonnaient en écho dans sa tête, et elle n'arrivait plus à les chasser. En plus de ça, des questions interminables venaient s'ajouter à tout cela. De quoi voulait donc se débarrasser son père ? Quelque chose qui ne les laissaient pas tranquilles en tout cas... Alexia essaya de trouver quelque chose qui avait toujours gêné sa famille, mais elle ne voyait pas. Et qu'avait-il pu faire à sa mère pour qu'elle décide de partir ?
Maintenant elle entendait le vent hurler derrière sa fenêtre et quelques instants plus tard, une averse s'abattit sur les carreaux.